
Interview With the Doctor : Remi Mermet

Remi Mermet
Ancien doctorant de l’ED 280, Rémi MERMET a un parcours singulier : il a une formation d'archéologue et d'historien de l'art. À partir d’un Master consacré à l’art antique qui alliait Histoire de l'art et Philosophie à Paris 4, il s'est intéressé à des questions d'épistémologie. Il a ensuite travaillé pendant cinq ans dans l'art contemporain et est revenu faire une thèse en cotutelle entre Paris 1 pour la Philosophie sous la direction de Danièle Cohn et l'université de Genève pour l'Histoire de l'art sous la direction de Jan Blanc. Il a travaillé sur une tradition théorique qui s'appelle la Kunstwissenschaft (science de l'art) et notamment sur la pensée de Wölfflin et de Cassirer en lien avec les questions kantiennes et la pensée de Goethe. Il a soutenu en décembre 2019 une thèse dont la préparation aura duré 5 ans.
Il vient aujourd'hui répondre à quelques-unes de nos questions sur son parcours doctoral.
2. Comment avez-vous financé votre thèse ?
J’ai pu bénéficier du chômage après mon expérience professionnelle dans l’art contemporain, ce qui m’a permis de financer ma première année. À partir de la deuxième année, j’ai obtenu un subside de cotutelle auprès de Swissuniversities, tout en étant chargé de cours à Paris 1. Ensuite, la troisième année a été financée par le FNS (Fonds National Suisse, équivalent de l’ANR), qui mettait au concours des bourses de mobilité doctorale. Grâce à cela, j’ai pu enrichir mon parcours et passer six mois au Getty à Los Angeles et six mois à l’Institut d’Histoire de l’art de Munich. La quatrième année, j’ai reçu une bourse de rédaction de thèse de la Fondation Schmidheiny en Suisse. Pour la dernière année, j’ai obtenu un contrat d’ATER dans notre université.
3. Comment s’est passé l’après soutenance ?
J’ai eu beaucoup de chance. J’ai appris avant de soutenir que l’université PSL lançait une chaire financée par L’Oréal sur la question de la beauté. J’ai candidaté pour être coordinateur mais n’ai pas été pris. On m’a cependant conseillé de participer au concours pour le post-doc ouvert par la chaire peu de temps après. J’ai réussi à le décrocher, et j’ai ainsi pu poursuivre mes recherches au sein du laboratoire Pays Germaniques de l’ENS.
4. Où en êtes-vous aujourd’hui ?
J’ai continué deux ans en post-doc prolongé à cause de la pandémie de COVID. J’ai ensuite bénéficié du chômage puis de nouveau obtenu un post-doc à l’ENS au sein du programme Translitterae pendant un an. Actuellement, je bénéficie d’un troisième post-doc au FNRS en Belgique, où je serai chargé de recherches à l’Université de Louvain durant les trois prochaines années.
Si j’ai pour l’instant réussi, comme je le souhaitais, à mener un début de carrière fructueux dans la recherche, je tiens à souligner que les opportunités restent rares et les échecs fréquents, et qu’il faut donc postuler tous azimuts pour espérer décrocher un poste, temporaire (post-doc, ATER, etc.) comme permanent (CNRS, MCF, etc.). Toute cette pression peut être moralement difficile, en raison notamment de la précarité qu’elle implique, et de l’impact qu’elle peut avoir sur la vie personnelle et familiale.
5. Quels conseils donneriez-vous à une personne qui souhaite commencer une thèse ou qui commence celle-ci ?
D’abord, ne pas mettre sa vie personnelle complètement de côté pendant la thèse, qui est un projet à long terme, par nature incertain, et qui demande donc de pouvoir tenir dans la durée. Nouer des liens avec les autres doctorants, s’inscrire dans des réseaux collectifs est à ce titre au moins aussi important que le soutien du directeur ou de la directrice de thèse et des collègues plus avancés. La thèse est certes une épreuve individuelle, mais ce n’est pas un travail solitaire !
Ensuite, tout en restant conscient des difficultés que traverse aujourd’hui le monde académique, il faut autant que possible conserver le plaisir de la recherche pour la recherche, ne pas se laisser complètement happer par les objectifs stratégiques de carrière, garder un côté désintéressé. Sur le plan scientifique, je n’ai jamais été aussi heureux qu’au début de ma thèse, parce que je ne savais pas exactement ce que je voulais faire, et que je n’étais donc pas en train de planifier mon travail en fonction des attendus des postes et des concours.
6. Si vous deviez qualifier votre passage à l’ED en deux-trois mots
Je me souviens d’une expérience très positive au sein de l’ED.
L’accompagnement financier de la part de l’ED m’a aussi été utile à plusieurs reprises. Je retiens surtout la direction de l’École doctorale, qui était caractérisée par un réel souci des doctorants et une humanité constante dans la gestion de l’ED.
Résumé de la thèse
« Penser Wölfflin avec Cassirer : essai d’esthétique morphologique »
Cette thèse interdisciplinaire, à la croisée de la philosophie et de l’histoire de l’art, participe d’une réécriture en cours de l’histoire de l’esthétique. Par esthétique, il faut entendre non pas seulement la philosophie de l’art telle qu’on la pratique depuis Hegel, mais le vaste champ d’étude de la connaissance sensible que les Lumières nous ont laissé en héritage, dont l’œuvre d’art constitue l’objet exemplaire. Plus précisément, cette thèse s’attache à un moment clé de cette histoire : celui de la « science de l’art » germanique (Kunstwissenschaft) de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, qui a su mêler de manière inégalée recherche historique sur les arts plastiques et réflexion philosophique sur la sensibilité, dans le but de dépasser le simple récit factuel sur les œuvres et les artistes.
Au sein de cette tradition de pensée, on distingue généralement deux tendances opposées : 1) la tendance formaliste, essentiellement représentée par l’historien de l’art suisse Heinrich Wölfflin (1864-1945), qui se désintéresserait totalement du sens des œuvres au profit de leur seule apparence visuelle ; 2) la tendance iconologique, représentée par les chercheurs réunis à Hambourg autour de la bibliothèque Warburg (dont le célèbre Erwin Panofsky), qui privilégierait au contraire l’étude du sens pris par les œuvres dans une culture donnée. Pour d’évidentes raisons historiques et biographiques, on rattache habituellement le philosophe Ernst Cassirer (1874-1945) à cette dernière tendance. Sa Philosophie des formes symboliques (1923-1929), écrite à Hambourg, n’a-t-elle pas inspiré à son collègue Panofsky ses travaux les plus féconds ?
Pourtant, force est de constater que c’est bien Wölfflin, et non Warburg ou Panofsky, que Cassirer érige en modèle de l’histoire de l’art scientifique. Il l’affirme explicitement, et à plusieurs reprises, au cours des années 1930 et 1940 – ce dont les spécialistes ont bien eu du mal à s’accommoder. Comment comprendre en effet cet attrait a priori contradictoire pour le formalisme ? Sur quels fondements théoriques repose-t-il ? Que cela nous apprend-il sur le projet wölfflinien et, en retour, sur les finalités propres à la pensée de Cassirer ? Ma thèse se propose d’explorer en détail les enjeux de ce rapprochement inédit, en dépassant l’opposition figée entre forme et sens dans laquelle l’historiographie a trop souvent tendance à se complaire.
L’originalité de ma démarche consiste à mettre en lumière cette affinité surprenante en passant par un médiateur tout aussi inattendu : Goethe. S’il est clair que Wölfflin et Cassirer ne possèdent rien en commun sur le plan biographique, il est non moins clair qu’ils partagent une même admiration pour la morphologie goethéenne, cette description sensible et dynamique – authentiquement esthétique – des formes, dont le sens se révèle à même leur visibilité. Quand Wölfflin parle de la « forme interne » d’une œuvre d’art (ou plus généralement du style comme « forme du voir », Sehform), il ne vise donc pas simplement sa structure visuelle : il vise, au-delà du contenu social, culturel ou politique de cette œuvre, le sens même de son style, la symbolicité inhérente à sa puissance de configuration. Partant, l’histoire de l’art wölfflinienne s’avère bien plus proche de la Philosophie des formes symboliques que ne l’a jamais été l’iconologie panofskienne. D’après Cassirer, qu’est-ce qu’une « forme symbolique », sinon précisément un certain pouvoir de mise en forme du monde et des choses ?
Afin de montrer cette étroite parenté, cette thèse retrace la genèse du concept de Sehform, avant de le confronter à celui de forme symbolique. Cette comparaison permet de mettre en évidence l’importance de la métamorphose que Wölfflin fait subir au paradigme kantien du transcendantal, en refusant toute séparation de principe entre conceptualisation théorique et empiricité historique. En cela, sa conception de la culture s’avère profondément créative et opératoire – ce que seuls les outils de la pensée cassirérienne permettent de rendre manifeste.
Identification :
Hal_authIdPerson_i : 742835
https://orcid.org/0000-0003-3133-5906
Publications en lien avec la thèse :
L’Histoire de l’art et ses concepts : autour de Heinrich Wölfflin
Principes fondamentaux de l’histoire de l’art
« The Inner Form of Style: On Heinrich Wölfflin’s “Tactical” Formalism »
« Cassirer et Panofsky : un malentendu philosophique »
« Rémi Mermet et Giovanna Targia, à propos des Principes fondamentaux de l’histoire de l’art »